Partout où se posait mon regard il y avait de l'animation. Il avait beau être 1 heure du matin, Madrid ne dormait pas. Madrid ne dormait jamais et c'est ce qui faisait son charme. Les enseignes des bars et des boites de nuits brillaient de leur éclat électrique alors que des Madridiens de tout âge faisaient la fête. A Madrid, la nuit ne faisait que commencer, et n'était pas prête de se finir. L'alcool coulait déjà à flot et des couples se formaient ça et là. Des couples qui ne dureraient qu'un soir.
De mon côté, je n'étais pas là pour faire la java. Je rentrais d'une soirée de travail, de babysitting, dans un des quartiers riches de la ville. Garder les enfants de couples qui ont tellement d'argent qu'ils ne savent plus quoi en faire était devenu mon moyen de subsistance depuis plusieurs mois. Je n'aimais pas vraiment ce travail. Je n'aimais pas m'occuper des gosses de parents trop immatures pour prendre leur responsabilité. Je détestait savoir qu'ils profitaient de mes services pour sortir boire un verre, ou plusieurs, avec leurs amis. Je haïssais devoir apercevoir le mari rentrer avec une pétasse blonde de 18 ans pendant que la femme était en train de liquider tout son fric en séance d'UV. Je détestait leurs manières, leurs faux-semblants, leurs mensonges et toutes leurs illusions. Mais je faisais abstraction du milieu dans lequel j'étais plongé pour me concentrer sur mon travail, à savoir rassurer la cadette pendant que l'aîné menaçait de faire exploser la télévision si je ne l'autorisait pas à y jouer une heure de plus. Des gosses aussi pourris et gâtés que leurs parents. Ce qui comptait, c'était le salaire alléchant. Même si mes employeurs oubliaient souvent de me payer, ils me donnaient une somme plus que correcte, et ça, c'était le plus important pour l'instant.
Ce soir là, ils avaient encore oublié de me donner ce qu'ils me devaient. C'était tout de même lassant. J'avais besoin d'argent moi, et je n'avais ni le temps ni l'envie d'attendre que leur caprice de bourgeois soient passés. Je travaillais pour eux, ils me payais ... ce n'était pas compliqué. Mais de toute évidence, eux y voyaient un problème, où alors leur tète vide refusaient-elles de comprendre ? Un soupir s'échappa de mes lèvres pendant qu'un frisson parcourait mon corps. Il ne faisait pas chaud et mon pauvre gilet de laine ne suffisait pas à me réchauffer. Hâtant le pas, je m'engouffrai dans une rue adjacente à la grande avenue. Ce n'était peut être pas le chemin le plus plaisant, ni le plus sur, ni le plus éclairé, mais c'était le plus rapide et c'est la seule chose qui m'intéressait au moment, rentrer vite pour aller me pelotonner dans mon lit douillet. Me voilà donc avec mon gilet blanc, mon sac à main et mes converses assortis, marchant d'un pas pressé dans des rue de plus en plus étroites et de plus en plus obscures. Je savais où j'allais et heureusement car ces ruelles étaient un vrai labyrinthe pour qui ne les connaissait pas bien. Non, je ne pensais vraiment pas qu'il pouvait m'arriver quoi que ce soit. J'empruntais ces rues plusieurs fois par semaine et je ne m'étais encore jamais fait tuée par un dangereux psychopathe. Pourquoi cela devrait-il changer ?
Et puis, j'aperçus une silhouette, au coin d'une rue. Une silhouette qui se dirigeait vers moi. Une silhouette que je reconnus trop tard. Tyson Lewis. Mon coeur manqua un battement pendant que tous mes muscles se raidissaient. De peur. Une boule d'angoisse apparut dans ma poitrine, bloquant ma respiration. Je ne pouvais plus faire demi-tour, il m'avait vu. Serrant les dent, luttant pour ne pas me mettre à trembler, ce qui n'aurait plus rien à voir avec le froid, et gardant les yeux résolument fixés devant moi, je continuai d'avancer. Peut être n'allait-il pas me voir, peut-être était-il d'humeur joyeuse, peut-être n'avait-il pas envie de me harceler aujourd'hui ?